Comment surmonter la honte ?
La plupart des chercheurs qui ont étudié cette émotion s’accordent sur une chose : elle est extrêmement dérangeante et gênante. Au point où nous préférons éviter d’en parler ou même admettre son existence. Alors nous l’ignorons, nous la refoulons, et il est souvent difficile de l’identifier.
Cependant, c’est une émotion paralysante, qui nous empêche de mener à bien nos projets, qui apparaît soudainement et nous coupe dans notre élan, qui nous bloque quand nous tentons de nous réaliser et accomplir ce dont nous sommes capables.
Alors explorons ensemble, essayons de voir ce que c’est, cette mystérieuse émotion qu’est la honte, et voyons si on peut trouver des moyens de la surmonter.
A suivre ...
Une émotion gênante
Il y a quelques années, après avoir réussi à identifier une émotion pénible que je ressentais régulièrement, mais que j’évitais de trop examiner, je me suis mise à la recherche d’un livre qui pouvait m’expliquer comme la honte pouvait bien fonctionner.
C’est comme ça que je suis tombée sur le livre Shame and Pride de Donald L. Nathanson, et dès la première page de l’introduction, il y raconte une anecdote qui m’a fait exploser de rire et m’a aidé à dédramatiser suffisamment pour arriver à regarder mes émotions en face.
L’auteur, qui est psychiatre, a décidé un jour d’organiser un colloque sur un domaine qu’il savait être « l’émotion ignorée » : la honte. Il raconte qu’après le colloque, un collègue l’a félicité, puis lui a conseillé de ne plus organiser de colloque sur ce sujet, au risque de se prendre une réputation pour « ça ». Le collègue était inquiet pour sa réputation ! C’est comme ça qu’il s’est rendu compte que la mention même de cette émotion est gênante, embarrassante. C’est une sensation pénible, nous cherchons à éviter non seulement l’émotion elle-même, mais aussi la moindre mention de l’émotion !
Les neufs émotions primaires
Dans son livre, Donald Nathanson reprend la classification des émotions (ou affects, qui est l’aspect strictement biologique de l’émotion) proposée par Silvan S. Tomkins. Il y aurait trois émotions positives (l’intérêt – l’enthousiasme, la joie – le plaisir, et la fierté), une émotion neutre (la surprise – l’étonnement) et cinq émotions négatives (la peur – la terreur, la détresse – l’anxiété, la colère – la rage, le dégoût et la honte – l’humiliation).
Ce qui rendrait la honte si difficile et si désagréable, c’est le fait qu’elle soit intimement liée à l’enthousiasme et le plaisir. D’après l’auteur, d’un point de vue de l’évolution, cette émotion est née pour venir interrompre l’intérêt et le plaisir quand ceux-ci sont « allés trop loin » ou ont duré trop longtemps, au point de nous mettre en danger. L’auteur donne l’exemple d’un enfant qui fixerait un adulte du regard. Le sentiment de honte qu’on peut ressentir au fait de fixer quelqu’un du regard vient du fait que si on fixe la personne trop longtemps, on risque de s’exposer à une réaction violente : grâce à la honte on apprend à ne pas fixer trop longtemps.
La honte est donc un « modulateur inné de la communication ». Elle sert à nous apprendre comment naviguer en société, à nous dire quand on va trop loin, quand on sort des convenances et de la bienséance.
« T’as pas honte ? »
C’est d’ailleurs une technique d’éducation répandue, bien que souvent inconsciente. Le problème est qu’on peut trop facilement confondre culpabilité et humiliation.
Utiliser une expression comme « t’es bête ou quoi ? » a pour conséquence de faire ressentir de la honte. Ce qui est remis en question avec la honte, c’est la valeur même de la personne. A long terme, la sensation récurrente de honte mène à l’anxiété et à la dépression.
On peut être tenté de penser que les expressions « tu es méchant », « tu es pourri gâté », « sale gosse », « sois gentil » ou « ne fais pas le bébé » servent à montrer à l’enfant ce qui est bien est ce qui est mal. Mais le problème est que faire ressentir de la honte à un enfant n’aura pas pour conséquence de lui faire apprendre une leçon, mais uniquement de le faire se sentir mal par rapport à son être, à ce qu’il est. C’est une souffrance morale qui ruine l’estime de soi, la confiance en soi, et réduit la capacité à surmonter les difficultés.
La différence entre la honte et la culpabilité
Les chercheurs s’accordent pour dire que la honte est une émotion qui concerne notre personne, notre identité, alors que la culpabilité est une émotion relative à une action, des lois, une émotion qui nous dit que nous avons commis un acte qui va à l’encontre d’un code.
Quand nous nous sentons coupable, nous avons conscience d’avoir mal agi, nous avons commis un acte répréhensible. Alors que quand nous ressentons de la honte, nous nous sentons indigne, sans valeur, détestable.
Quand je suis coupable, j’ai fait quelque chose de mauvais. Tandis que quand je suis honteux(se), je suis mauvais(e).
Une source de souffrance
A l’origine, cette émotion est née pour nous protéger, nous préserver d’un danger. Malheureusement, trop souvent ce système de protection peut se retourner contre nous. Lors d’un traumatisme, le cerveau peut exagérer dans ses efforts et le résultat est que nous nous refermons sur nous-même.
Le résultat ? Souffrance individuelle, évitement, phobie ou anxiété sociale, isolement social. On court aussi un risque supplémentaire : le danger de résignation. Succomber à la honte revient à renoncer à la possibilité de la dépasser, et nous nous empêchons de réaliser nos projets par « actes manqués ». Je rêve d’écrire un bouquin, mais je ne le termine pas. J’aimerais beaucoup avoir une promotion au boulot, mais je n’ose pas la demander.
Identifier la honte
C’est décidément une émotion qu’on peut avoir du mal à identifier. On ressent quelque chose de désagréable, une pensée qui apparaît de nulle part et si pénible qu’on cherche à s’en débarrasser, on voudrait pouvoir fermer la porte à tout ce qu’elle peut vouloir dire.
On la refuse, on veut éviter à tout prix cette sensation douloureuse, et ça empire les choses, car ce qu’on essaye de refouler trouve le moyen de ressortir de manière destructive. L’un des professeurs de méditation de l’appli que j’utilise a l’habitude de dire que « ce à quoi je résiste persiste ».
Pour identifier la honte, il faut rester quelques instant avec l’émotion, trouver le courage de la regarder en face, de l’observer sans instinctivement refermer la porte dessus, et observer aussi les pensées qui l’accompagnent.
Il est important d’identifier le sentiment de honte : il est trop souvent injustifié. Si nous venons d’une culture ou une famille ou la honte est utilisée pour enseigner les codes sociaux, nous aurons ensuite une tendance à la ressentir dès qu’on se sent un peu menacé.
On a tendance à minimiser cette émotion, on sait bien que la pensée qu’on a eu était accompagnée d’une sensation désagréable, mais on n’est que partiellement conscient de son apparition et de ses conséquences.
Le paradoxe de la vulnérabilité
Brené Brown est une chercheuse américaine qui a longuement étudié la honte et la vulnérabilité. Dans son intervention TED, Listening to shame (il est possible de mettre des sous-titres en français), elle nous explique le paradoxe de la vulnérabilité. Nous avons tendance à penser que la vulnérabilité, exprimer sa vulnérabilité, s’autoriser à être vulnérable, est un signe de faiblesse. Pourtant, quand nous voyons d’autres personnes qui se mettent en situation vulnérable (monter sur une scène et parler en public, par exemple), nous pensons que ces personnes sont courageuses, et le courage est au contraire une force.
Ce qui nous empêche de nous montrer vulnérable, c’est la peur de la honte et de l’humiliation. Pourtant, pour pouvoir accéder à notre sens de l’innovation, de la créativité et du changement, nécessaires à une vie personnelle et professionnelle épanouie, il faut savoir dépasser la honte et se montrer vulnérable.
Une barrière à l’innovation
Oui mais voilà, ce qui rend une vie personnelle et professionnelle intéressante et motivante, c’est bien notre capacité à innover, changer, évoluer. Et ce qui nous en empêche ? La peur de se montrer vulnérable, la peur d’échouer, de se sentir humilié, d’avoir « la honte ».
Quel est ton rêve ? Y a-t-il quelque chose que tu rêve de faire depuis longtemps ? Qu’est-ce qui t’empêche de le faire ?
Essaye ! Surmonte la honte en 5 étapes.
- Identifie la honte. Quand tu as des pensées qui te font dire « non, non, non, ne pense pas à ça », essaye de dépasser la peur de regarder ces pensées, et reste avec elles quelques instants.
- Note ces pensées. Au bout de quelques jours ou quelques semaines, relis-les et vois s’il y a des points communs, une logique qui se dégage.
- Quel est le point commun qui provoque la honte chez toi ? La honte est-elle justifiée ? Y a-t-il quelque chose que tu puisses changer ? Les actions liées sont-elles sous ton contrôle ? Remets en question tes certitudes et suppositions.
- Identifie les éléments qui sont sous ton contrôle, détermine des actions que tu peux accomplir et fais-les.
- Si tu remarques que tu ressens la honte particulièrement facilement et souvent, combats la honte avec son contraire : l’honneur. Identifie des aspects de ta personnalité, des valeurs qui sont source d’honneur et intègre-les dans ton quotidien, mets-les en valeur, donne-leur plus d’importance.
Superbe article !
En effet, la honte est quelque chose de difficile à surmonter à l’instant T.
Et pourtant, derrière cette émotion se cachent une multitude d’informations indispensables à prendre en compte. Comme tu le soulignes, prendre un peu de recul pour mieux comprendre la source, est quelque chose d’essentiel.
Merci à toi pour ces précieux conseils.
🙂
Je ne pensais pas qu’il se cachait tant de choses derrière ce sentiment, je me suis remis en question sur certains points…
Mais merci pour cet article ! Je pense que ça va plutôt bien m’aider dans le future 😉
Arthur
🙂
Merci pour cet article qui relie la honte et l’humiliation d’une part, et distingue la honte et la culpabilité d’autre part !
Il est parfois difficile d’admettre que l’on a honte. Pour ma part, les travaux de Lise Bourdeau sur la blessure de l’humiliation m’ont bien aidée à dépasser le stade de la honte. Et mon quotidien s’est nettement amélioré 🙂
Merci pour ces exercices très utiles !
Bonjour Sandra,
Merci pour la mention de Lise Bourdeau, que je ne connaissais pas. Je m’empresse de mettre l’un de ses ouvrages dans ma liste de lecture !
🙂