Pourquoi ment-on ?
Enfant, j’étais de nature plutôt crédule. J’ai d’ailleurs un cousin qui adorait me raconter des histoires et me les faire croire. Encore aujourd’hui, je me rappelle ces histoires, et je ne suis pas tout à fait sûre que c’était des mensonges. Les histoires étaient crédibles. Pas irréalistes. Pas « tirées par les cheveux ». Mais je me rappelle d’une étincelle dans son regard, un petit sourire sur son visage. Ce qui me fait penser aujourd’hui que ces histoires devaient être des mensonges. Il avait l’air d’y prendre plaisir. Pourquoi le faisait-il ? Pourquoi prenait-il plaisir à me faire croire des choses qui n’étaient pas vraies ? Je ne le lui ai jamais demandé. En fait, je ne me suis jamais posé ces questions avant de commencer à écrire cet article.
Ado, j’avais une amie à l’école qui, elle, avait poussé le besoin de mentir très très loin. Ses histoires étaient trop extravagantes pour être vraies. Son besoin de mentir était poussé à l’extrême. Au point que ça portait atteinte à ses bonnes relations avec les autres. Ça lui apportait des problèmes, alors pourquoi le faisait-elle, qu’est-ce que ça pouvait bien lui apporter ?
Aussi, comment expliquer la vague des « fake news » ? En politique, la frontière semble mince entre l’art de présenter les choses sous un angle particulier, et le mensonge. Frontière qui semble être franchie par beaucoup de personnalités politiques. La motivation est plutôt claire ici : attirer des votes. Mais cela n’est-il pas contre-productif ? Si on admet le fait que les gens ont plutôt tendance à ne pas apprécier qu’on leur mente, il est plutôt risqué pour un/une politique de mentir et de voir des électeurs potentiels se retourner contre eux … Alors, pourquoi le faire ?
A suivre ...
Le mensonge est-il le contraire de la vérité ?
S’interroger sur la notion de mensonge revient aussi à s’interroger sur la notion de vérité. On a tendance à penser que la vérité est une notion binaire : soit c’est vrai, soit c’est faux. C’est peut-être vrai dans certains domaines, comme la justice, ou les sciences. Mais dans le domaine des relations humaines, ma vérité n’est pas nécessairement la tienne. Mon expérience du même événement, de la même conversation peut être différente de la tienne. Et il n’est plus question de savoir qui a raison et qui a tort.
Il semblerait qu’il y ait différents types de mensonge, selon le CNTRL. Le mensonge officieux, fait dans l’intention de rendre service ! Ou le pieux mensonge, pour épargner à quelqu’un quelque chose de pénible. Le mensonge joyeux, fait pour plaisanter, le mensonge par omission, … Dire la vérité ou mentir ? Le choix n’est apparemment pas aussi simple que ça.
Ça vient d’où, le mensonge ?
Pourquoi a-t-on commencé à mentir ? Comment est né le mensonge ? Repartons en arrière et considérons le contexte dans lequel notre corps et notre cerveau actuel se sont développés. La survie n’était pas chose sûre et les dangers venaient de tous les côtés. Prédateurs, rejet de la tribu … Mentir, que se soit pour obtenir quelque chose, cacher une erreur ou éviter le rejet semblait être la solution la moins risquée. Si j’attrape un bâton et te tape sur la tête pour me défendre, les représailles sont plus probables que si je te mens, là au moins, j’ai des chances de ne pas être découvert(e). Ça me permettait d’éviter un conflit physique. D’obtenir quelque chose, de préserver ma survie. Sans avoir recours à une mise en danger de mon intégrité physique.
Le mensonge peut-il être acceptable ?
Dans une interview pour le site Doctissimo, Claudine Biland, auteure de Psychologie du menteur, nous dit que nous sommes tous des menteurs et que le mensonge est indispensable pour vivre en société. Pour cela, elle donne l’exemple de différents types de mensonges qui aident aux bonnes relations entre les personnes. Le mensonge subjectif, qui est le fait de ne pas dire ce qu’on pense de quelqu’un et de sa tenue. Mais est-ce vraiment un mensonge si mon opinion est subjective ? Après tout, quelle est l’utilité de cette opinion ? Ne serait-il pas plus sain de dire que c’est mon opinion sur la tenue d’une personne qui n’a pas lieu d’être, au lieu de dire que le fait de ne pas lui communiquer mon opinion est un mensonge ?
Claudine Biland mentionne aussi le mensonge objectif, qui est le fait de garder le silence quand on remarque qu’une personne va mal ; on se tait pour ne pas aggraver la situation. Pourquoi vouloir appeler ça un mensonge ? N’est-ce pas tout simplement du tact ? D’ailleurs, rien n’empêche de prendre la personne à part pour lui demander ce qui ne va pas. Ou de laisser la personne parler spontanément.
Ensuite vient le mensonge altruiste : on ne veut pas blesser l’autre (« comment tu trouves ma coupe de cheveux ? » – « ça te va bien ! ») et/ou on cherche à lui faire plaisir. Ça rejoint l’opinion qui n’a pas lieu d’être, seulement cette fois-ci, l’opinion est sollicitée, et l’autre attend une réponse. La réponse « ça te va bien » est plutôt risquée, parce qu’à moins d’être un(e) très bon(ne) menteur/euse, l’autre va savoir ou sentir que c’est un mensonge. Et ça risque bien de rendre la situation encore plus compliquée. Pourquoi ne pas tenter un « je préférais celle d’avant », ou « je trouve que les cheveux plus longs te vont mieux », une réponse qui a l’avantage de ne pas être un mensonge et qui offre une alternative positive.
En lisant l’article sur Doctissimo, j’ai eu envie de faire deux remarques. La première est que le mot « mensonge » porte une connotation assez lourdement négative. Il vaudrait mieux, je trouve, éviter de parler de mensonge dans le cas des « mensonges » subjectif, objectif et altruiste cités plus haut. Ne devrions pas réserver la dénomination « mensonge » à toute déclaration faite en vue de tromper, nuire ou manipuler ? Ce serait alors l’intention qui compte.
La deuxième est qu’on ne s’en rend pas toujours compte, mais quand on ment, on met en danger une base fondamentale de toute relation humaine saine : la confiance réciproque. Pourquoi risquer la détérioration de nos relations quand il est possible de dire la vérité de manière à préserver la fierté et l’amour-propre de son interlocuteur ?
Je mens : une trahison ?
Plus loin dans l’article, Claudine Biland dit : « un mensonge, c’est une contre vérité qui passe. Un mensonge atteint son but lorsque la cible est bernée ! Or vous dites vous-même (et vous n’êtes pas le seul) que les hommes politiques ne tiennent jamais leurs promesses, ce qui signifie que vous n’êtes pas berné ! Lorsque vous allez voter vous savez que votre candidat, s’il est élu, ne tiendra pas toutes ses promesses, loin s’en faut ! Vous n’êtes donc pas trahi. Il n’y a donc pas mensonge. »
Un mensonge n’est pas un mensonge si on sait que c’est un mensonge … Curieuse façon de voir les choses, non ? Qu’en est-il du sentiment de trahison ? On se sent trahi quand on se rend compte qu’on nous a menti. Notre première pensée peut être que l’intention de l’autre a été de nous rouler dans la farine. La colère s’installe, et la confiance nécessaire à toute relation saine se trouve un peu plus effritée, un peu moins solide. Le mensonge en vaut-il vraiment la peine ?
Le mensonge est-il culturel ?
Selon l’article de Wikipedia sur le mensonge, des études montrent que les gens mentent plus facilement s’ils considèrent que leur entourage le fait aussi. La tendance au mensonge est donc influençable.
Et toi, dans quelle culture du mensonge vis-tu ? Est-il acceptable de mentir ? Pour quelles raisons ? Est-il recommandé de dire « cette robe te va bien » alors que tu penses le contraire ? Est-il acceptable de mentir pour donner une bonne image de soi, exagérer ses qualités, cacher ses défauts ? Peut-on mentir pour vendre un objet à quelqu’un qui n’en a pas vraiment besoin ?
Toujours selon l’article de Wikipedia, une autre étude montre que « des séries de petits mensonges sont plus susceptibles de provoquer un processus de rationalisation conduisant au désengagement moral de la personne ». Il y aurait un effet boule de neige, le fait de mentir nous amènerait sur une pente glissante. Plus on ment, plus il est facile de mentir. Ne devrions-nous pas essayer de nous préserver de ce danger ?
Mentir pour se protéger ?
Et quand on veut cacher, protéger sa vie privée, est-ce un mensonge ? Est-ce que le mensonge est acceptable dans ce cas-là ?
Prenons l’exemple, malheureusement devenu un cliché, d’un acteur qui cacherait son homosexualité pour préserver sa carrière. La première question qui me vient à l’esprit est la suivante : pourquoi est-ce que sa sexualité influencerait sa carrière dans le monde du spectacle ? Ça me semble tiré par les cheveux, l’un à rien à voir avec l’autre. Si je me limite à cette idée, alors oui, une personne qui cacherait activement une partie d’elle-même, qui irait jusqu’à mettre des stratégies en place pour « paraître » hétérosexuel ; photos avec des partenaires potentielles, interviews pour alimenter le « mystère », ou la suggestion d’une hétérosexualité, dans ce cas-là je trouverais la personne malhonnête pour avoir voulu tromper de manière active.
Ceci dit, la vie privée d’une personnalité publique semble en effet avoir une influence sur sa carrière, sa popularité. Et toi, qu’en penses-tu ? La sexualité d’un acteur, sa vie privée, a-t-elle de l’importance pour toi ? Cela pèse-t-il sur ton choix quand tu vas au cinéma ? Quand tu choisis un film à regarder ? Est-ce que tu penses qu’un acteur ment s’il ne parle pas publiquement de son homosexualité ?
Vu sous cet angle, je comprends mieux pourquoi le « coming out » de certaines personnalités fait grand bruit. Et pourquoi d’autres cherchent à cacher leur vie privée à tout prix, même au prix de la fabrication active de mensonges.
Le mensonge en politique
Je me souviens, il y a quelques années, alors que Donald Trump n’était encore qu’un « allumé » en campagne présidentielle, j’ai lu un article paru dans Marianne, où le journaliste chargé de suivre le candidat dans sa tournée de campagne relatait une expérience qui m’a fait froid dans le dos. Le journaliste se trouvait au fond d’une salle où le candidat Trump terminait son discours. A côté de lui se trouvait une femme, une grande fan de toute évidence, puisqu’elle s’est trouvée vers notre journaliste, et a déclaré, avec enthousiasme et admiration, que 50 % de ce qu’il disait était vrai. Je ne sais plus si le journaliste a décrit la scène de cette manière, mais c’est l’image qui m’est restée. En est-on vraiment arrivé là ? A accepter de la part de nos politiques qu’ils ne disent pas toujours la vérité, qu’ils utilisent le mensonge comme outil de persuasion ?
Dans mes recherches, je suis tombée sur des articles où la conclusion était que l’humain n’apprécie pas qu’on lui mente et qu’on le manipule, et qu’un individu ne peut mentir qu’à ses risques et périls. Dans d’autres articles, il est conclu que l’humain a tendance a croire les mensonges, même si ceux-ci sont contredits par des preuves évidentes. L’humain est susceptible de mentir relativement aisément, et l’humain est relativement vulnérable à être trompé.
A lire aussi : Qu’est-ce que le biais de négativité et comment convaincre quand la porte est fermée ?
Où te situes-tu ? As-tu déjà fermement continué à croire quelque chose alors qu’une petite partie de ton esprit te chuchotait que peut-être, peut-être les preuves du contraire étaient plutôt convaincantes ? Qu’est-ce qui t’a empêché de changer d’avis ?
Quand on tape « mensonge en politique » dans Google, on se rend compte de l’étendue du phénomène. De l’article « l’art du mensonge en politique » de Wikipedia au « Prix du mensonge en politique » décerné annuellement, en passant par les nombreux articles sur le sujet parus dans les plus grands quotidiens francophones, dont un intitulé « la tolérance du public au mensonge politique », on doit bien admettre que le mensonge est un fait, une manifestation d’une culture bien installée, et pas une exception.
Et toi, qu’es-tu prêt(e) à tolérer ? Depuis la glorification du mensonge et de la fausse nouvelle ces dernières années, il devient de plus en plus facile et normal de mentir. L’acceptes-tu ?
Il paraît qu’on ment deux à trois fois par jour, que le mensonge fait partie de la nature humaine et que c’est naturel et même bénéfique pour la société.
Mais moi j’ai envie de dire que c’est trop dangereux pour la société. C’est une attitude qui casse petit à petit la relation de confiance qu’on a les uns avec les autres et dans le climat que nous a apporté la mode des fake news, il est plus important que jamais de prendre position et de refuser de participer à cette attitude destructrice.
Alors quand tu es devant un choix : mentir, pour obtenir ce que tu veux, ce dont tu as besoin, ou dire la vérité et te compliquer la vie, je t’encourage à considérer la chose suivante : tu peux mentir maintenant et trouver une solution rapide à ton problème. Ou tu peux dire la vérité et prendre ton temps pour réfléchir à une autre solution. Ce choix aura l’avantage de te faire joindre le camp de ceux pour qui la santé des relations humaines est importante et qui veulent en prendre soin.
Qu’en penses-tu ? Partage tes réflexions dans les commentaires …
Très bon article, Aline !
Personnellement, je pense que l’intention est la clé : mentir avec l’intention de nuire, de tromper, de profiter de la personne, etc. devrait à tout prix être évité et cela détruit la confiance. Mentir, ou plutôt ne pas dire complètement la vérité, avec l’intention bienveillante de protéger, de ne pas empirer une situation, d’encourager, etc. peut se justifier dans certains cas. Le plus important étant d’être pleinement conscient de notre motivation dans l’échange et des conséquences de nos paroles, mais ce n’est pas toujours facile 😉
Pas toujours facile, en effet 🙂
Pour dire la vérité aussi, il faut du courage !
Merci pour ton intervention, Aline.
Ahah ! C’est fou le mensonge !
J’étais tellement menteur quand j’étais petit… Je mentais tout le temps et pour tout ! Au désespoir de mes parents. Et aujourd’hui, fait étonnant, je ne mens plus. Ou si je « déforme » la réalité, ou si j’omets délibérément de donner une information, je culpabilise.
Merci pour cet article en tout cas, qui me parle tout à fait 😉
Etonnant, en effet 😉 Tu as réussi à comprendre pourquoi tu mentais tellement ? Un rapport avec la culpabilité ressentie aujourd’hui ?
Merci pour ton témoignage 🙂
Super article ! Extrêmement complet 🙂 le sujet me fait penser à l’excellente série de canal+ « Serge le mytho » sur Youtube 🙂
Je vais suivre ton blog il a l’air super intéressant
Arthur
Merci, Arthur 🙂
Je ne connais pas cette série, je vais voir ça de suite !
Encore un article hyper intéressant. J’adore ton approche qui vient toujours titiller des questions philosophiques.
Il y a une forme de mensonge que j’adore : les histoires ! Se raconter des histoires et en inventer pour ma fille. Le but n’est pas de cacher quoi que ce soit mais d’utiliser un plan plus symbolique pour faire rêver, réfléchir. Je le fais en toute conscience et ça ne me pose pas de problème.
Je sais pourtant qu’il y a des parents qui choisissent par exemple de ne jamais mentir et qui disent donc à leurs enfants, dès qu’ils sont tous petits, que le Père Noël ou la petite souris n’existe pas.
Qu’en penses-tu ?
Merci Valentine !
Ah … raconter des histoires, c’est presque dommage de mettre ça dans le même sac que le mensonge ! C’est un mensonge que j’adore, moi aussi 😉
Quant au Père Noël … J’ai envie de dire que c’est triste d’enlever cette part de magie de l’enfance. Pour moi, le Père Noël fait partie de la tradition, des légendes. Pourquoi ne pas le considérer comme l’un de ces personnages légendaires, comme Ulysse, ou les chevaliers de la Table Ronde, qui continuent d’influencer notre culture … Qui sait, ils ont peut-être réellement existé 😉