Comment dépasser la rancune ?
A en croire les dictionnaires, la rancune est un état d’esprit complexe qui inclut plusieurs émotions : un mélange de colère, tristesse, et jalousie, accompagnés d’un désir de vengeance, le tout formant un état émotionnel qui a l’air de s’être installé pour un bon moment. La mention du « désir de vengeance » m’a étonnée, je ne m’étais pas représentée la rancune de cette manière, mais peut-être que je confondais avec le ressentiment ou la rancoeur, mais ces deux notions ont l’air, elles aussi, d’inclure un besoin de vengeance.
Quel que soit le nom qu’on lui donne, je souhaitais parler de cette sensation très tenace, une sorte de reproche que l’on fait encore et encore, qui nous empêche de « tourner la page », et qui se rappelle très régulièrement à notre esprit. Une sensation tellement coriace, qu’on se demande si on arrivera à s’en débarrasser un jour. Alors comment faire pour s’en débarrasser ? Essayons déjà de comprendre d’où elle vient.
A suivre ...
Comment s’explique la rancune ?
Oeil pour oeil
Nous avons hérité d’une histoire et d’une culture qui valorise la vengeance, la punition à niveau égal. Un verset de la Bible illustre cette attitude, la « loi du talion » : « Mais si malheur arrive, tu paieras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure. » (Exode 21,23-25). Notre civilisation et notre culture étant largement influencées par cet idéal.
Il est donc possible que la rancune s’installe quand on a la sensation que l’offense qui nous a été commise n’a pas rencontré de juste châtiment.
Le monde en noir et blanc
Il est possible qu’on soit pris d’assaut par le sentiment de rancune parce qu’on a tendance à voir le monde en « noir et blanc ». Il y a d’un côté les bonnes actions, et de l’autre les mauvaises. Si l’autre a raison alors c’est moi qui ai tort, et vice versa. Cette tendance au « tout oui rien » nous pousse à s’accrocher encore plus au ressentiment, soit on est totalement vengé, soit on ne l’est pas du tout.
Ne pas perdre la face
La ténacité et la longévité du sentiment de rancune peuvent être motivés par la colère et la honte, ou la peur de la honte et de l’humiliation. La rancune devient alors un mécanisme de protection, qui permet de remplacer cette peur par une identité ferme : « celle qui ne se laisse pas marcher sur les pieds », ou « celui à qui on a fait du tort ».
On se sent justifié dans notre rancoeur, solide dans notre ressentiment, et cette puissante sensation nous empêche de voir si le ressentiment est disproportionné ou réellement justifié par rapport à l’offense.
C’est une sensation séduisante : elle nous apporte du réconfort et de la force (« je ne vais pas me laisser faire ») et de la détermination (« je vais me venger »).
Refus d’accepter ce qui s’est passé
« C’est intolérable ! » C’est la première étape du deuil, non ? le déni. Ou la première étape de toute nouvelle information pénible. « Non, c’est pas vrai ! ». La rancune nous permet de refuser l’élément douloureux, l’offense, et ce rejet se perpétue dans le désir de trouver réparation, pour revenir à ce qui aurait dû être.
Une sensation de frustration
Il est possible que cette tendance trouve son origine dans la petite enfance, où les parents expriment une forte désapprobation à l’expression du mécontentement de leur enfant. L’enfant ressent alors une intense frustration lorsqu’il rencontre une injustice, puisqu’il a très peu de possibilités de l’exprimer ou d’y répondre. A l’âge adulte, il devient encore plus nécessaire de trouver une résolution sous forme de vengeance, de rétablir l’équilibre perdu.
Il peut arriver aussi qu’on ne se sente inconsciemment pas « autorisé » à ressentir de la rancune pour une personne particulière, alors on peut diriger ce sentiment vers une autre personne.
Croire en un monde juste
Les personnes qui sont plus facilement envahies par la rancune sont celles dont la croyance en un monde juste est assez basse. Si je ne pense pas vivre dans un monde majoritairement juste, alors je m’attends plus facilement à être victime d’injustice. Je suis alors motivée par un instinct de préservation et de survie. Si on m’a fait du tort, on m’a mis en danger, et je cherche à (re)trouver un sentiment de sécurité.
Biais de négativité
Il existe un mécanisme cognitif qui s’appelle le biais de négativité, c’est une tendance du cerveau à donner plus de poids aux informations négatives reçues qu’aux informations positives. Dans le cas d’une personne susceptible à la rancune, il est possible que ce biais de négativité soit plus développé.
A lire aussi : Comment combattre le biais de négativité ?
Pourquoi laisser tomber la rancune ?
Retrouver l’équilibre
On pense à tort que lorsqu’on aura obtenu vengeance, on trouvera la satisfaction et la paix, ou la sensation d’équilibre que l’on avait avant l’offense, mais selon le psychologue Kevin Carlsmith, les personnes qui n’assouvissent pas leur désir de vengeance rapportent des sentiments de bien-être dans la vie de tous les jours supérieurs à ceux qui passent à l’acte.
Mais est-ce que j’accepterais vraiment réparation ? Lorsque je ressens le besoin de vengeance et de représailles, est-ce que je sais vraiment exactement ce qui me satisferait ? Des excuses seraient-elles suffisantes ? Il y a un risque que l’offense reste impardonnable à mes yeux, et que quel que soit le geste de réparation que l’autre tente de me témoigner, je refuse de l’accepter.
Sortir de l’impasse
Ce qui me mène dans une impasse relationnelle. Je refuse d’oublier, de laisser passer, je m’accroche à ce qui « aurait dû être ». Parce que, on l’a vu plus haut, la rancune est particulièrement séduisante et me donne une sensation de puissance. Il est possible que je n’arrive pas à la laisser tomber. Et cette fidélité à ma rancune moralisatrice et que je considère légitime me maintient dans une attitude de fermeture aux autres.
Préserver sa santé
On le sait maintenant, les émotions et sensations négatives comme la colère, le stress, la rancune, la tristesse ont un impact significatif sur notre santé. Ces attitudes font partie d’un mécanisme essentiel pour nous préserver et nous garder en sécurité, mais elles commencent à devenir dangereuses lorsqu’elles durent trop longtemps.
Lorsque nous ressentons ces sensations, c’est le système nerveux sympathique qui se met en marche, pour répondre à la situation de crise : accélération de l’activité cardiaque et respiratoire, augmentation de la tension artérielle, diminution de l’activité digestive, réduction de la libido … C’est l’état d’urgence, toute l’énergie est dirigée vers la réponse à la crise. Encore une fois, essentiel pour répondre à une urgence, mais néfaste à long terme. S’accrocher à un sentiment de rancune et à la colère ne permet pas au système nerveux de retrouver son état parasympathique (ou de relaxation), qui devrait être notre état prédominant.
Comment faire ?
Aller à la source
Prend le temps d’aller à la source de ce qui te met en colère dans cette situation. Souvent, c’est une autre situation, similaire, qui motive l’intensité de la colère. L’offense t’en rappelle-t-elle une autre ? L’offense ressentie peut-elle venir d’un malentendu ? Etait-elle volontaire ou involontaire ?
Essaye l’écriture automatique. Prend une feuille de papier et écris tout ce qui te passe par l’esprit, sans te soucier de la structure des phrases, de l’orthographe ou de la grammaire. Ça peut être une succession de mots. Les pensées sont parfois trop rapides pour qu’on les comprenne vraiment, ou qu’on les retienne. Les écrire permet de ralentir le processus, et en voyant apparaître les idées sur le papier, on prend le recul nécessaire pour se rendre compte des éventuels schémas, des éléments qui se répètent, des associations d’idées.
Faire preuve d’auto-compassion
Pour éviter « le tout ou rien » ou de voir le monde en « noir ou blanc », essaye la pratique de l’auto-compassion.
A lire aussi : Comment différencier auto-compassion et apitoiement sur son sort ?
Se mettre à la place de l’autre
Quand on est enfermé dans son monde de colère et de ressentiment, on peut ne pas comprendre pourquoi l’autre nous a blessé. Qu’est-ce qui a pu motiver son comportement ? Replace l’offense dans son contexte.
Pour ou contre ?
Fais une liste « pour ou contre » garder ta rancune.
Communiquer
Il faut à tout prix éviter de « bouder », de montrer son mécontentement en coupant la communication. L’autre ne peut pas lire dans nos pensées. Il faut exprimer clairement le contenu du ressentiment. Il arrive souvent que la personne ressentant de la rancune ne l’exprime pas. C’est probablement dû au fait qu’il/elle s’accroche à ce qui aurait dû être et n’accepte pas ce qui est arrivé.
Pourtant, on ne peut pas obtenir d’excuses si on n’exprime pas le fait qu’on se soit senti offensé. C’est évident pour nous, ça prend une bonne partie de notre conscience, tellement c’est évident pour nous, mais ça ne l’est pas nécessairement pour l’autre. Cela demande un petit effort de recul : essayer de sortir de sa vision en tunnel et se mettre à la place de l’autre. Qu’est-ce qui a pu faire que l’autre ne se soit pas rendu compte de l’offense ?
Ensuite, ne pas s’exprimer sous le coup de la colère, mais quand celle-ci est retombée et a eu le temps de s’atténuer un peu. Dire en quoi l’offense est inacceptable, et dire quelles ont été les conséquence pour soi.
Pardonner
Ne pas attendre que l’autre présente ses excuses, et pour toutes les bonnes raisons évoquées plus haut, pardonner.
A lire aussi : Comment pardonner ?
Essaye ! Abandonne ta rancune en 5 étapes …
- Ecris. Tout ce qui te passe par l’esprit en ce qui concerne ta rancune et la raison pour laquelle tu la ressens.
- Mets-toi dans les baskets de celui/celle qui t’a fait du tort. Comment en est-il/elle arrivé là ?
- Fais une liste de ce qui te satisferait comme retour … Une manifestation de regret ? Des excuses ? Une justification ?
- Communique ton mécontentement de manière constructive et calme.
- Si tu n’obtiens pas satisfaction de la part de la personne qui t’a fait du tort, fais une liste des raisons pour lesquelles tu souhaites tourner la page pour ton bénéfice.
Bonjour Aline,
Ce n’est vraiment pas toujours évident de passer au dessus, prendre le recul nécessaire pour ne pas entretenir de rancune. Pourtant, comme tu le dis, les émotions négatives peuvent nuire à la santé! Je pratique le Qi Gong depuis 3 ans et cette branche de la médecine chinoise explique bien par exemple que la colère est l’émotion négative qui peut affecter le foie et la tristesse est liée aux poumons. Pour m’aider à gérer mes émotions, personnellement je fais de la méditation et notamment la méditation du “sourire intérieur” (vidéos disponibles sur YouTube).
En tout cas merci pour cet article très complet!
Merci Florence pour ton témoignage. J’ai essayé le Qi Gong sous forme de stage de vacances et j’en garde un excellent souvenir. C’est en effet une pratique qui peut nous aider à abandonner nos émotions destructrices.
A bientôt !