L’intelligence émotionnelle (Daniel Goleman) – tome 1
Lorsque ce livre paraît en 1995, les psychologues Peter Salovey et John Mayer avaient déjà proposé le concept d’intelligence émotionnelle en 1990, mais celui-ci n’avait pas encore fait son chemin. Le livre de Daniel Goleman devient un best-seller et propose un certain nombre de points de vues qui vont changer notre manière de considérer les émotions.
L’auteur désigne par « intelligence émotionnelle » un ensemble de compétences. Maîtrise de soi, persévérance, s’inciter soi-même à l’action, avoir conscience de ses émotions et de celle des autres semblent être les principales. Ces compétences sont, selon lui, celles qui permettent à un être humain de réussir sa vie, tant professionnellement que personnellement. Elles seraient un meilleur indicateur de réussite que le quotient intellectuel (QI).
A suivre ...
Pourquoi un livre sur l’intelligence émotionnelle ?
L’auteur débute son introduction par une anecdote personnelle tout à fait évocatrice. Alors qu’il montait dans un bus un jour maussade à New-York, il est surpris d’entendre une salutation toute pleine de bonne humeur. C’était le chauffeur qui lui disait bonjour. Ce chauffeur avait l’air de réserver le même accueil chaleureux à tous ses passagers, tout aussi stupéfaits les uns que les autres. Il passait aussi son temps à faire des commentaires positifs, des observations agréables sur un magasins qui proposait des soldes, ou un film excellent. C’est alors que l’auteur a remarqué une lente transformation. Les passagers new-yorkais, traditionnellement réservés et ternes, se sont mis à sourire. L’ambiance était manifestement plus légère.
Il réalise ensuite : « La psychologie que j’avais apprise n’expliquait gère comment une telle transformation pouvait avoir lieu. Elle ignorait tout ou presque du mécanisme des émotions. » (p.8) Cette expérience, qu’il a vécue dans les années 70, a marqué le point de départ de ses recherches.
Mais il fait une autre constatation, bien moins agréable, celle qu’il suffit d’ouvrir un journal pour être bombardé de faits divers sanglants. Ces faits divers seraient le témoignage de la facilité avec laquelle nous perdons le contrôle de nos émotions. Colère explosive qui pousse au meurtre. Rage routière. Haine à l’origine de crimes racistes. Il donne un chiffre qui fait froid dans le dos. 57% des enfants tués le sont par des parents qui voulaient « punir » l’enfant pour des transgressions anodines (parents dérangés alors qu’ils regardent la télé, couches sales, …). Qu’est-ce qui peut pousser des êtres humains à ignorer ou supplanter un instinct aussi fondamental que celui de protéger notre progéniture ? Découvrons ce que l’auteur donne comme explication.
L’auteur
Daniel Goleman est un psychologue américain, auteur et journaliste scientifique. Il est titulaire d’un doctorat en psychologie clinique et développement personnel de l’Université de Harvard. Il a aussi été journaliste au New York Times. Son livre Intelligence émotionnelle (1995) est le plus célèbre de ses ouvrages, un best seller dans de nombreux pays, traduit en 40 langues.
Il a été chercheur au sein de plusieurs universités au Etats-Unis. Dans les années 70, il enseigne la psychologie de la conscience à Harvard. A l’Université de Yale, il est cofondateur du Collectif pour l’apprentissage académique, social et émotionnel au sein du Child Study Center. Actuellement, si l’on en croit sa page Wikipedia, il co-dirige le Consortium pour la recherche sur l’intelligence émotionnelle en entreprise à l’Université de Rutgers.
Ce qu’il faut retenir
Dans le tome 1, l’auteur propose un état des lieux de ses recherches sur l’intelligence émotionnelle et présente quelques considérations théoriques. Entre autres, il propose au chapitre 3 les 5 domaines qui forment l’intelligence émotionnelle (définition de Peter Solvey) :
- la connaissance des émotions
- la maîtrise de ses émotions
- l’automotivation
- la perception des émotions d’autrui
- la maîtrise des relations humaines
Comment les émotions parviennent à vaincre la raison
T’est-il déjà arrivé de réagir avant même d’avoir conscience de ce qui se passait ? Comme de sursauter quand tu entends un bruit fort, de te mettre en colère de manière automatique, ou d’exploser de rire sans pouvoir te contrôler ?
Et juste après, tu as l’impression d’avoir eu une légère sensation de « prémonition », comme si tu avais su ce qui allait se passer une fraction de seconde avant que ça ne se passe …
Et bien c’est parce que l’amygdale, qui gère les urgences, prend le dessus sur le néocortex, qui a la responsabilité d’assembler et de comprendre les perceptions sensorielles. Le néocortex planifie à long terme, élabore des stratégies. Mais quand il y a urgence, c’est le système limbique (dont l’amygdale fait partie) qui prend le contrôle du cerveau (p.38). Les explosions d’émotion, comme la colère, la jalousie, la peur, s’expriment avant que le néocortex n’ait pu comprendre ce qui se passe. Très utile dans la jungle, quand il faut échapper à un prédateur, moins utile dans notre quotidien moderne.
Les émotions sont indispensables à la pensée
On pensait avant que le comportement le plus optimal était fait de la pure raison, débarrassée des émotions qui paraissent trop souvent incontrôlables et imprévisibles.
Selon Goleman, « les liaisons entre l’amygdale et le néocortex sont au centre des batailles ou des traités de coopération entre la tête et le coeur, la pensée et les sentiments. L’existence de ce circuit explique pourquoi les émotions sont indispensables à la pensée. » (p.51)
Pour exemple, il cite le travail d’Antonio Damasio, neurologue, qui a étudié le comportement de patients dont le circuit amygdale-néocortex a été endommagé. Leur intelligence est restée intacte, mais il effectuent des choix désastreux dans leur vie professionnelle et personnelle. Ils n’ont plus accès à leur connaissances émotionnelles : préférences, goûts, dégoûts, attachements, … Les sentiments sont donc indispensables aux décisions rationnelles (p.53).
Le QI ne permet pas de prédire qui réussira dans la vie
« L’intelligence théorique ne prépare pas l’individu a affronter les épreuves de l’existence (…) et pourtant, nos écoles et notre culture font une fixation dessus » (p.61). L’auteur cite plusieurs longues études menées. De jeunes étudiants et des enfants ont été observés sur de nombreuses années, et dans chacune de ces études, le fait d’avoir un QI haut ou bas n’avait aucune incidence sur leur réussite professionnelle ou affective. Ceux dont le QI était élevé n’étaient « ni plus heureux dans leur vie privée, ni plus satisfaits de leur existence. (p.59) »
Les indicateurs de réussite
Il y a, cependant, d’autres éléments qui permettent de prédire la réussite, et de la favoriser.
La capacité de résister à ses pulsions
On propose à enfant de quatre ans le choix suivant : il peut avoir un bonbon tout de suite. Ou alors, il peut avoir deux bonbons, s’il patiente le temps que l’adulte revienne d’une course qu’il doit faire. Torture ! L’enfant est laissé seul dans la pièce. Il doit faire son choix entre répondre à la pulsion, ou avoir de la retenue. Accéder au plaisir immédiat, ou attendre et le remettre à plus tard.
C’est le psychologue Walter Mischel qui mène cette étude dans les années soixante. Ces enfants ont été suivis au cours de leur scolarité. Les différences entre ceux qui avaient résisté à la tentation, et ceux qui s’étaient jetés sur le bonbon étaient tout à fait notables. Les premiers étaient devenus des ados efficaces, capables de surmonter des déboires, ne baissaient pas les bras devant les épreuves, gardaient l’esprit clair lorsque sous pression. Les deuxièmes étaient devenus indécis, plus facilement contrariés, avaient une mauvaise opinion d’eux-mêmes, paralysés par la tension. Ils étaient plus souvent méfiants, jaloux et envieux.
« La différence constatée à une étape précoce de la vie était devenue un large éventail d’aptitudes sociales et psychologiques » (p.129).
L’angoisse réduit la réussite scolaire et professionnelle
« L’anxiété sabote les résultats scolaires et universitaires dans toutes les disciplines : 126 études portant sur 36000 élèves ont montré que plus un individu est enclin à se faire du souci, moins il réussit dans ses études » (p131).
Le rire favorise la créativité
Pour surmonter une difficulté, ou atteindre un état favorable à la productivité, la souplesse de pensée et l’imagination, il est nécessaire d’atteindre un état de légère exaltation. Le rire libère la pensée, facilite les associations d’idées. Il permet de découvrir des relations autrement inaperçues et de prévoir les conséquences d’une décision.
Tu sais maintenant que pour te mettre dans des bonnes conditions de travail, il suffit de faire un tour sur YouTube, et regarder une petite vidéo de ton humoriste préféré(e). Sans oublier de désactiver la lecture automatique des vidéos pour éviter de se faire absorber dans la spirale 😉
L’importance de l’empathie dans les relations
L’auteur donne l’exemple de personnes alexithymiques, des personnes qui ne sont pas conscients de leurs propres sentiments. C’est parce que ces personnes ne peuvent pas reconnaître leurs émotions, qu’elles ne peuvent pas reconnaître celle des autres. L’empathie (faculté de percevoir ce que l’autre ressent, dictionnaire Larousse) « repose sur la conscience de soi ; plus nous sommes sensibles à nos propres émotions, mieux nous réussissons à déchiffrer celle des autres » (p.150). En citant des études, l’auteur montre que les enfants capables de déchiffrer les sentiments des autres sont les plus stables psychologiquement.
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C’est donc la connaissance de soi qui entraîne la connaissance des autres et de meilleures relations avec ceux-ci.
Savoir adapter son comportement à ceux des autres
« L’art des relations interpersonnelles est fondé sur la capacité de connaître les sentiments d’un autre et de se comporter de manière à influer sur eux (p.173) ». Peu importe la motivation à ce stade (vengeance, manipulation, consolation, distraction, …). Et avant de pouvoir exercer ce pouvoir, il faut être capable d’une certaine maîtrise de soi. Ce qui veut dire : savoir apaiser sa propre colère, sa peine, ou son excitation, savoir dominer ses pulsions. « Pour être réceptif aux autres, il faut un minimum de calme intérieur. (…) C’est l’insuffisance de ces capacités qui peut conduire les plus brillants des individus à échouer dans leurs rapports sociaux, et à être perçus comme arrogants, odieux ou insensibles. Ces aptitudes sociales permettent d’assurer la réussite de ses rencontres et de ses relations amoureuses, de mobiliser, d’inspirer, de persuader, d’influencer les autres et de les mettre à l’aise (p.174) ».
Les émotions sont contagieuses
On l’a déjà vu dans l’anecdote citée dans l’introduction : une émotion peut se propager et affecter les personnes alentour. Cela fonctionne grâce à un mimétisme subtil. « Ulf Dimberg, un chercheur suédois, a constaté que nous voyons un visage souriant ou furieux, de légers mouvements de muscles faciaux laissent transparaître l’émotion correspondante. » (p.179) Il y a une sorte de coordination qui se met en place quand deux êtres humains interagissent.
Les hommes viennent … d’une planète, et les femmes d’une autre
Cela serait dû à l’éducation émotionnelle que nous donnons à nos enfants. Culturellement, nous apprenons à nos enfant à gérer leurs émotions de manière totalement différente selon leur genre.
Les filles apprennent à manier un vocabulaire émotionnel plus large alors que les garçons deviennent plus souvent inconscients de leur état affectif et de celui des autres. « Les garçons sont fiers de leur indépendance tandis que les filles considèrent qu’elles font partie d’un réseau de relations. Les garçons se sentent menacés par tout ce qui risque de mettre en péril leur indépendance, tandis que les filles craignent davantage une rupture de leurs liens. » (p.201)
La cohésion de l’équipe
Traditionnellement, la culture hiérarchique en entreprise récompense le dirigeant autoritaire, manipulateur et combatif. Mais on se rend compte que le manque d’intelligence émotionnelle de ces attitudes finissent par coûter cher à l’entreprise. Le travail d’équipe nécessite une coopération, une écoute, une certaine intelligence sociale. Ce qui n’est pas possible si la compétitivité est exacerbée.
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La diversité donne un avantage compétitif aux entreprises
Les entreprises qui misent sur la diversité au sein de leurs employés (origine, culture, handicap, religion, …) font preuve d’une plus grande créativité. Parce que leurs équipes savent garder un esprit ouvert et tolérant, elles ont accès à plus d’imagination et de potentiel créateur. Et d’aboutir à de meilleurs solutions, des réponses ingénieuses.
Les liens affectifs protègent la santé
« Des études effectuées pendant plus de 20 ans sur plus de 38 000 personnes révèlent que l’isolement social – le fait de n’avoir personne avec qui partager ses sentiments intimes ou entretenir des rapports étroits – multiplie par deux le risque de maladie ou de mort. » (p.269)
Le traumatisme provoque une perte de confiance dans les autres
Les personnes qui ont été victimes d’un traumatisme causé par un acte de violence commis par un autre être humain ont souvent la conviction qu’elles ont été choisies, intentionnellement. Cela provoque un repli sur soi et l’impression que « l’univers social est devenu dangereux où chaque individu est une menace potentielle. » (p.302)
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Il est possible d’apprendre à se faire des amis
Même si on a souvent l’impression que le fait de se faire des amis facilement est une compétence innée, on peut tout à fait l’apprendre. L’auteur nous propose une série de comportements qu’on peut améliorer individuellement :
- faire des propositions et trouver des compromis
- poser des questions, observer et écouter l’autre
- dire des choses aimables
- sourire
- proposer son aide
- faire des suggestions
- encourager
Les éléments essentiels de l’intelligence émotionnelle
Même si nos comportements se forment suite à nos expériences de l’enfance, il est possible de se soumettre à un réapprentissage émotionnel. « Les expériences se répètent, le cerveau les traduit sous forme de liaisons renforcées, d’habitudes neurones qui jouent dans les moments de tension, de déception et de chagrin. » (p.390) Pour que ces moments soient moins intenses et durent moins longtemps, voici un rappel des composants fondamentaux de l’intelligence émotionnelle à renforcer :
- identifier et nommer les émotions (les siennes et celles des autres)
- exprimer ses émotions
- évaluer l’intensité des émotions
- maîtriser ses émotions
- retarder la satisfaction de ses désirs
- contrôler ses pulsions
- réduire ses tensions
- connaître la différence entre émotions et actions
Points faibles
Mon plus grand regret, en lisant ce livre riche d’informations, est de ne pas y avoir trouvé de pistes concrètes pour « exercer » son intelligence émotionnelle.
Daniel Goleman nous répète, et nous démontre par de nombreuses études et d’exemples, à quel point il est important de faire preuve d’intelligence émotionnelle. De savoir retarder sa satisfaction. De savoir nommer les émotions qu’on ressent. Oui, oui, je suis d’accord, mais comment je fais ?!
Je suppose que ce n’était pas l’objectif de ce livre, qui était l’un des premiers à parler d’intelligence émotionnelle. Le but était probablement de convaincre de l’importance de ce nouveau concept, ou cette nouvelle manière de voir les choses. Quoi qu’il en soit, c’est frustrant !
Aussi, l’auteur mentionne à plusieurs reprises le fait que les rapports humains ont l’air de s’empirer. Dans les années 70, la moitié des mariages se terminaient en divorce, alors que dans les années 90, ce sont les deux tiers. Entre les années 70 et les années 90, les suicides d’adolescents ont triplé. Mais aucune explication n’est donnée quant à la raison de cette aggravation. Il cite les opinions de quelques experts qui se limitent à des explications vagues et qui ont l’air d’être fondées sur des observations personnelles et des opinions.
Pourquoi les rapports humains se sont-ils aggravés ? Après tout, nous avons la chance de vivre à une époque où nous ne faisons pas l’expérience de la guerre, nous avons des congés payés. Nous avons accès à de nombreux avantages sociaux que nos prédécesseurs n’avaient pas.
De plus, pour trouver une solution à une situation qui s’aggrave, il nécessaire d’en connaître la cause, non ?
Points forts
Malgré le manque d’exercices pratiques, et d’explications sur la cause des relations humaines dégradées, ce livre reste une découverte passionnante. Il se lit facilement.
Les nombreuses études et exemples viennent illustrer des concepts avec lesquels on a très envie d’être d’accord, mais qui restent assez vagues avant de les voir se réaliser dans le concret des exemples et études. Ils offrent une sorte de révélation, parfois amusée, parfois terrifiée. En refermant ce livre on a la conviction d’avoir compris, d’être convaincu de l’importance, de la primauté d’avoir en sa possession les compétences détaillées pour une réussite sociale et professionnelle.
Pour finir, quel plaisir de trouver enfin une explication à l’importance de la diversité. On dit que c’est une richesse, on dit que c’est une qualité. Mais on ne savait pas vraiment comment, concrètement. Avec ce livre, on sait que c’est une qualité nécessaire au progrès et à l’innovation.
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